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Les Chauffeurs d'Orgères

Un fait divers défraya la chronique des terres de Beauce à la fin du XVIIIè siècle : les "Chauffeurs d'Orgères". Il s'agissait d'un groupe de brigands organisés que l'échec économique et les "désordres" de la Révolution avait jeté sur les routes. Leurs exactions ont largement alimenté la mythologie des vastes plaines de la Beauce.

LES TERRES DE BEAUCE

Nul doute que la peur aidant, des faits avérés ont été grossis ou déformés par la rumeur pour constituer l'épisode le plus atroce, mais aussi le plus fantastique du folklore de cette région. Véritable grenier à blé, les plaines de Beauce, du Gâtinais et d'Hurepoix, attirèrent certains d'entre eux. A cette époque, les campagnes n'étaient plus sûres pour personne et les chemins étaient parcourus par une population d'errants, de colporteurs, ou de ramoneurs. Les bouleversements avaient jeté dans la clandestinité beaucoup de monde et, souvent sous couvert de prétendues convictions politiques, un grand nombre de bandes de malandrins s'étaient organisées un peu partout en France, attaquant diligences, voitures de poste, caisses et convois militaires ou fermes isolées. La horde des "Chauffeurs d'Orgères" était composée d'hommes et de femmes, de vieillards et d'enfants dont le nombre s'élevait de quatre à cinq cents. Ce n'était pas là une bande ordinaire, mais une véritable organisation de plusieurs dizaines de personnes qui, toutes, de jour, pratiquaient d'honorables métiers. Il y avait là des forgerons, des ouvriers agricoles, des tonneliers, des vignerons, des marchands, des bouchers, des aubergistes...et même un garde champêtre ! Le chef des "Chauffeurs d'Orgères" était un certain " Beau François ", secondé par un homme de main d'une cruauté inouïe dit " le Rouge d'Auneau ". " Cette horde était composée d'hommes et de femmes, de vieillards et d'enfants que l'habitude du crime, l'oisiveté et le dérèglement rassemblaient " lit-on dans l'ordonnance de prise de corps.

C'est en 1798 que la bande des "Chauffeurs d'Orgères" commença à semer la terreur en attaquant de nuit les riches logis isolés. La technique de supplice des "Chauffeurs d'Orgères" était généralement bien éprouvée et imparable : elle consistait à s'emparer du chef de maison, et de lui faire dire l'emplacement de son magot en lui "chauffant" les pieds. On les arrosait préalablement d'eau de vie, après quoi on les glissait dans l'âtre, ravivé pour la circonstance. Cette méthode valut à ces bandits un peu particuliers ce surnom de "chauffeurs". Généralement après quelques crépitements et hurlements, les malheureuses victimes cédaient et révélaient le secret de leur cache.La bande des "Chauffeurs d'Orgères" terrorisa ainsi bourgeois, fermiers, châtelains et gendarmes pendant près de deux années. On pourrait facilement, sur une carte, cerner leur principale zone d'activité en fermant une zone comprise entre Orléans, Chartres, Pithiviers et Marchenoir.  

L'ATTAQUE DE LA FERME DU MILLOUARD

Dans la nuit du 15 au 16 Nivôse de l'an VI de la République (du 3 au 4 janvier 1798) une vingtaine de brigands appartenant à la bande des "Chauffeurs d'Orgères" attaquent la ferme de Millouard. Lors de cette attaque ils torturèrent si bien le maître de maison, Nicolas Fousset, que celui-ci succomba quelques jours après les faits. Le Millouard était une très riche exploitation située entre Pourpry et Sougy (Eure-et-Loir) et le fermier Nicolas Fousset était très honorablement connu et apprécié dans la région. Cet épisode suscita un immense émoi et les gendarmes furent vivement sommés de faire enfin leur travail.

L'ARRESTATION

Le hasard se chargea de mettre un terme à la sanglante équipée des chauffeurs. Quelques semaines après l'attaque de la ferme du Millouard, deux gendarmes procédèrent à l'arrestation d'un vagabond qui, interrogé, révéla appartenir à la fameuse bande des chauffeurs. "Le 10 Pluviôse (30 janvier), le Maréchal des Logis Vasseur, de la gendarmerie de Janville arrête "deux particuliers : un mâle et une femelle" et les amène au chateau de Villeprévost devant le Juge de Paix". Il s'agit de Germain Bouscant dit le " Borgne de Jouy " et de la femme Bire. Sans difficulté, le " Borgne de Jouy " livre les noms et les signalements de plus d'une centaine de ses compagnons, parmi lesquels : " Fleur-d'Epine ", Nicolas Tincelin dit " Jacques de Pithiviers " ou le " Père des Mioches ", Robert Jean-Bernard dit " Jean le Canonnier ", François Ringuette dit " le Rouge d'Auneau ".  

LE PROCES

L' instruction de cette affaire fut conduite sur la commune d'Orgères en Beauce et c'est de là que les bandits prirent définitivement leur nom de "Chauffeurs d'Orgères". L'instruction de l'enquête fut confiée au Juge de Paix du canton d'Orgères en Beauce. Ce juge, Armand-François Fougeron, était un ancien conseiller de Louis XVI et qui, à sa libération des geôles révolutionnaires, était venu se réfugier dans ses terres au château de Villeprévost. Pour les besoins de l'enquête plus de trois cent brigands furent enfermés dans les caves de Villeprévost. A cet effet un détachement de gendarmerie et deux pelotons du 2e Régiment de Hussards assuraient alors la garde de Villeprévost et l'escorte des prisonniers. Le juge Fougeron les interrogea la plupart des prisonniers dans le salon du château entre le 30 janvier au 2 mai 1798. L'interrogatoire de leur chef " Beau François " s'y déroula la 10 février 1798. Le " Rouge d'Auneau ", second du " Beau François ", avait à lui seul, à l'issue des débats, accumulé treize condamnations à mort et cent soixante dix-huit années de bagne !

En plein consulat, la France sortait avec peine des tourments de l'époque révolutionnaire et, dans le cadre d'une puissante volonté des autorités d'un retour à la paix civile, le procès des "Chauffeurs d'Orgères" se voulait exemplaire. Le 12 vendémiaire de l'an IX, soit le 4 octobre 1800, vingt-trois bandits revêtus de la camisole rouge des parricides montaient un à un les degrés de l'échafaud dressé, pour la circonstance, sur la place des Épars, à Chartres.

C'est avec des soupirs de soulagement et au milieu de cris d'allégresse que des centaines de beaucerons, venus là tout spécialement depuis les fermes les plus reculées, assistèrent au supplice de la guillotine. Ces vingt-trois condamnés étaient les plus durement châtiés parmi les bandits qui avaient été interpellés un peu plus d'un an auparavant. Mais " Beau François ", le chef de la bande, réussit à s'évader de la prison de Chartres et disparut à jamais.  

LES MASQUES MORTUAIRES

Après l'exécution publique des vingt-trois condamnés, la justice fit réaliser des masques mortuaires qui furent exposés au chateau de Villeprévost, lieu initial de leur arrestation. Pourquoi avoir fait une empreinte de ces guillotinés ? Dans un soucis d'édification de la population devant une exécution à caractère social plus que politique, ou pièces à conviction du jugement rendu après le procès ? Après cette exposition propre à frapper les esprits, les masques mortuaires furent déposés à la Société Archéologique, société qui les confiera bien plus tard au Musée des Beaux-Arts de Chartres. Durant les années 70, le Musée des Beaux-Arts fit appel à un médecin pour identifier les masques mortuaires. le médecin révéla ainsi le visage vérolé de Richard Jacques dit le " Borgne du Mans ", la face vigoureuse de Madeleine Barruet dite " la Grande Marie ", ou encore le curieux faciès de François Théodore Pelletier a qui on avait enserré la tête dans un carcan lorsqu'il était enfant afin de diminuer l'ampleur de ses maxillaires. Parmi ces masques mortuaires, tous identifiés, on peut également relever les noms de : François Ringuette dit " le Rouge d'Auneau " et celui de Robert Jean-Bernard dit " Jean le Canonnier " etc...

LE CHÂTEAU DE VILLEPRÉVOST

Le château de Villeprévost fut ouvert à la visite en 1982. Il possède un petit musée consacré à l'histoire des "Chauffeurs d'Orgères". Les visites du château ont lieu de Pâques à fin octobre, le samedi de 14h à 18h30, le dimanche et jours fériés de 14h à 18h30, en semaine sur rendez-vous pour groupes. Château et Parc de VILLEPRÉVOST 28140 Tillay-le-Peneux Tél. 02 37 99 45 17


extrait du récit de l'arrestation de la bande d'Orgeres


ORDONNANCE DE PRISE DE CORPS
CONTRE LES BRIGANDS DE LA BANDE D'ORGERES

Chartres, Lacombe, 1800

"Les départements du Loiret, d'Eure et Loir, et de Seine et Oise ; comme plus voisins ; ont été les plus exposés aux excursions de la bande dévastratrice ; ceux de Seine et Marne, du Loir et Cher et du Cher n'en ont pas été exempts.

Quoiqu'une association aussi monstreuse n'eût aucune organisation régulière, et fût indisciplinée, il n'en est pas moins vrai qu'elle paroissoit avoir un chef ; et celui-là étoit sans doute le plus déterminé brigand de la troupe ; c'est à ce titre que Fleur-d'Epine, mort il y a six à sept ans, dans les prisons de Versailles, a dû l'affreux privilège de la diriger. C'est sous son autorité que la troupe avoit érigé les bois de la Muette en départements, et les bois de Lifermeau et autres, en districts et cantons.

A ce titre odieux, le Beau-François a mérité de succéder à Fleur-d'Epine.

Il seroit impossible d'apprécier au juste le nombre des brigands dont le sort étoit lié à celui de ces chefs féroces ; il s'élevoit de quatre à cinq cent.

Déjà plus de quarante ont subi la peine capitale ; de ce nombre sont les Robillard, les Marrabou, les Lenchantin, les Huguenet, les Cousin, les Pigeon, les Renard, etc. etc.

Un nombre plus considérable a été condamné à des peines inférieures ; depuis le commencement du procès, plus de soixante sont décédés dans les prisons ; un grand nombre a échappé jusqu'ici aux recherches, en s'éloignant des pays où ils pouvoient être connus.

Cette horde était composée d'hommes et de femmes, de vieillards et d'enfants que l'habitude du crime, l'oisiveté et le dérèglement rassembloient. Des hommes de plus de quatre-vingt ans, cédant encore à leur fatal penchant, voloient ce qu'ils pouvoient, et rappelloient aux plus jeunes, pour les encourager, leurs anciens exploits. Des enfants de dix à douze ans étoient adoptés, dans la troupe, sous le nom de MIOCHES. Ils recevoient une éducation conforme au genre de vie qu'ils devoient mener ; on les employoit à aller examiner les lieux qu'on devoit piller ; on s'en servoit pour passer par-dessus les murs et par-dessous les portes, pour les ouvrir ; c'est ainsi qu'ils devenoient voleurs et assassins. Celui chargé de les instruire, étoit connu sous le nom de PERE DES MIOCHES (c'est Nicolas Tincelin, dit Jacques-de-Pithiviers).

Cette troupe, à laquelle l'affreux assassinat du citoyen Fousset, cultivateur à Millouard, a fait donner le nom de BRIGANDS D'ORGERES, étoit essentiellement liée à une autre classe d'individus non moins dangereux à la société. Une foule de receleurs affidés leur prêtoient syle, leur fournissoient d'utiles indications, leur donnoient des armes, leur procuroient de fausses clefs, receloient, achetoient, recevoient, à titre de récompense, les effets provenans de vols ; souvent même ils se joignoient à eux, et les aidoient dans leurs crimes.

La plupart des hommes s'étoient associé des femmes qu'ils épousoient à la manière des brigands. Peu d'entr'eux étoient réellement mariés. Beaucoup de jeunes filles, entraînées par la débauche, retenues ensuite par la crainte d'être tuées, si elles témoignoient leur mécontentement, les suivoient, assistoient à leurs complots, et partageoient les dépouilles de leurs malheureuses victimes. Leurs noces se faisoient dans les fermes, après quelques cérémonies ridicules faites dans les bois, dirigées par l'un d'entr'eux, qu'il nommoient le curé.Réunis alors au nombre de vingt ou trente, ils se faisoient fournir pain, vin, viande qu'on auroit oser leur refuser. témoins forcés de leurs sales indécences, on les a vus, dans ces fêtes abominables, sortir nuds de leur gîte, et former, en cet état, leurs danses au mileu des cours des fermes où ils s'étoient établis."