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© ALAIN DE FILIPPIS
1995
Qui
en France, à l'exception des pratiquants et de quelques curieux
avertis, connaît cette musique bizarre que l'on appelle concrète,
électroacoustique ou acousmatique ?
Bien peu
de personnes il faut l'admettre... Hormis deux succès très
populaires dans les années 60 (Messe pour le temps Présent
de Pierre Henry et le dessin animé les Shadocks), ce genre musical
reste inconnu du grand public.
Pourquoi
une telle méconnaissance d'un genre musical qui fêtera bientôt
un demi-siècle d'existence ?
Lors
de sa création, la musique de bruits a suscité un enthousiasme
et une vitalité au sein de la communauté musicale. Les deux
premières décennies furent riches et fertiles en oeuvres
et en expériences et nombreuses furent les rencontres avec le cinéma,
la danse, la télévision ou la radio. A partir des années
70, différents compositeurs, issus pour la plupart des mouvements
de 68, se regroupèrent et tentêrent de définir plus
précisement le territoire de cette expression. Poussés par
un désir de respectabilité et soucieux d'entrer dans le
cénacle des musiques sérieuses, ils enfermèrent alors
cette musique dans des dogmes aussi puissants que le sérialisme
dans le domaine instrumental. Afin de crédibiliser leurs démarches,
ceux-ci privilégièrent alors un travail de recherche musicale
et ce au détriment de l'expression artistique.
Depuis
lors, l'activité principale des structures - devenues officielles
et subventionnées - réside dans le développement
d'outils technologiques (Upic, 4X, Gmebaphone, Acousmonium, logiciels,
interaction image-son, ...) avec en parallèle un travail d'analyse
et de réflexion sur les phénomènes sonores prétexte
à la publication de nombreux ouvrages.
Dans
une moindre mesure, ces structures se consacrent également à
un travail de pédagogie et d'initiation aux techniques aux techniques
de composition selon des règles très restrictives. Pour
schématiser, disont que cette musique ne doit contenir ni rythmes
ni "mélodies" susceptibles d'évoquer d'autres formes musicales
et rester la plus abstraite possible dans sa forme. L'organisation interne
des compositions - à priori illimitée - ne peut se faire
que dans le cadre étroit des lois énoncées dans la
Bible selon Saint Schaeffer.
Cette
pédagogie implique également que chaque composition soit
légitimée intellectuellement par son auteur. Là encore,
le cadre défini exerce une contrainte formelle prétexte
à tous les excès et il en résulte souvent une loghorrée
verbale indigeste mêlant technique, philosophie et parti-pris conceptuels.
Au travers de la plupart des textes de présentation apparaît
surtout la prétention de ces compositeurs : bénéficier
d'un statut d'avant-garde grâce à des justifications intellectuelles
délibérément hermétiques.
Enfin,
dernier point caractèristique à toutes les structures :
le refus de communiquer. Absence évidente de communication en
direction du public, mais aussi absence de communication entre structures
(liée à une concurrence ou à des conflits de pouvoir)
ou entre compositeurs. Ce comportement, on ne peut plus paradoxal de la
part d'utilisateurs du haut-parleur, témoigne d'un désintérêt
certain pour la diffusion et la circulation des oeuvres. Cette attitude
protectionniste laisse également supposer un refus de s'exposer
à la critique, la pratique de la musique de bruits seait-elle une
maladie honteuse ?
Tout
ceci n'est pas sans conséquence sur l'image austère véhiculée
par ce type d'expression et la totale méconnaisance qui en résulte.
Une musique difficile et une présentation absconse, il n'en fallait
pas plus pour que le public démissionne. Ce n'est peut-être
pas un hasard si pour ce dernier le seul compositeur contemporain reste
Jean-Michel Jarre...
Face
à cette histoire, comment envisager la pratique de cette musique
en 1995 ?
En
s'écartant délibérément des us et coutumes
de cette tribu aux moeurs austères. Il appartient aux nouvelles
générations de compositeurs de retrouver la fraîcheur
et l'innocence des pionniers pour partir à la découverte
d'un continent aux territoires inexplorés. Il faut faire preuve
d'audace, d'ouverture et d'enthousiasme, fuir les règles, les genres
et les étiquettes pour créer une musique vivante. La musique
électroacoustique est trop longtemps restée une musique
cérébrale, il est plus que temps d'affirmer la dimension
sensuelle et émotive de cette musique, la seule règle en
la matière est de faire chanter la matière sonore.
Il
convient également de définir de nouvelles formes de présentation
pour la diffusion publique de cette musique, là encore il faut
faire preuve d'initiative et ne pas hésiter à ce confronter
à d'autres formes d'expressions artistiques. Dans une époque
qui affirme le métissage, seule l'électroacoustique reste
sourde aux bruits et aux mouvements du monde.
De
même il faut aller à la rencontre d'un public non rompu à
ce type d'expression. On oublie trop souvent de considérer cette
musique est un fabuleux tremplin pour l'imaginaire de l'auditeur. Il convient
donc de convier celui-ci à l'écoute de cette musique en
offrant des voies d'accès simples.
Il
est plus que nécessaire d'insuffler une nouvelle dynamique à
ce genre musical. Cette musique ne doît plus être la proppriété
exclusive d'une élite d'introvertis. L'échange, la rencontre
et la communication doivent être au centre des préoccupations,
ce qui suppose une démarche volontariste de la part de tous les
acteurs de la discipline.
L'utilisation
du bruit en musique est devenue une pratique courante grâce à
l'évolution technologique, d'autres formes musicales comme la musique
industrielle se sont dévelopées au fil des années.
Il en va de même pour toute une frange du public issu de ce mouvement
musical qui appréhende cette musique en toute simplicité
et sans à-priori.
La
musique industrielle et la musique électroacoustique présentent
beaucoup de similitudes. la différence réside essentiellement
dans le propos artistique et dans le public touché (âge et
milieu social spécifique). Dans la musique industrielle, des réseaux
se sont constitués, des revues d'information existent et circulent,
de nombreux labels produisent des disques, les diffusent et ceux-ci rencontrent
l'accueil d'un public curieux et ouvert à ce type d'expérience
sensorielle. Pourquoi ne pas envisager des connexions entre ces genres
musicaux voisins ? Chacun aurait à y gagner d'une telle rencontre
mêlant spontanéité et réflexion.
Tout
est possible pour le renouveau de l'expression électroacoustique,
d'aucuns s'y emploie déjà avec succès sous d'autres
latitudes. Mais la France, comme toujours, prend son temps pour réfléchir
et analyser... D'autres voies restent encore à découvrir,
à inventer, mais seule l'imagination et l'action contribueront
à l'épanouissement réel de cette musique.
Texte publié le 01 /11/ 1995 dans le magazine musical VITAL (Hollande)
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