granuvox-newsgranuvoxGranuvoxgranuvoxgranuvox  

JUKE-BOX
Juke-Box Granuvox
Sonorama
Théatrophone

granuvox granuvox granuvox
           
 

Accueil / Homepage

ENTRETIEN CAROLA MAGAZINE

ALAIN DE FILIPPIS

30/03/02

DEBUTS

Quatre ans avant ma naissance, mon père casse des pianos avec une masse pour une entreprise de démolition. J'aime à voir dans cette image l'origine génétique de ma sensibilité à l'univers sonore.

Bébé, déjà, mes oreilles sont en éveil : ma tante m'offre un tambour mais je le délaisse très vite, car je préfère taper sur une casserolle... A la même époque, je m'amuse énormément avec les portes qui grincent. Plus tard, je modifie le son de mon vélo en plaçant un carton qui frotte sur les rayons. Je fais ensuite la même chose avec mon vélomoteur...

A partir de l'adolescence, je découvre de le monde de la musique grâce au disque. Au fil d'écoutes intensives, je découvre la pop-music et le rock, puis le jazz, la musique classique, les musiques traditionnelles, et enfin les musiques électroniques et expérimentales.

Le déclic se produit en 1981, lors de la découverte du disque "Eskimo", un concept-album réalisé par un groupe nommé The Residents : l'univers sonore proposé sur ce disque m'a définitivement convaincu que je pouvais, moi aussi, faire de la musique...

Lors d'un stage dans un studio de création musicale en 1983, j'apprends les rudiments de la musique concrète : j'y découvre le jeu avec la matière sonore, le magnétophone, les techniques d'enregistrement et de montage audio. Depuis cette date, je pratique la composition musicale dans cette discipline en autodidacte...

Pendant plus de quinze années, j'ai pratiqué cette musique de manière totalement "analogique" puisque mon outil principal était le magnétophone à bande. J'ai donc collé des milliers de fragments de bande magnétique, détourné les fonctions du magnétophone en jouant avec le sélecteur de vitesse ou en lisant les sons à l'envers. Ces dernières années je me suis équipé d'un système informatique performant (Direct-to-disk Soundscape SSHDR1), totalement adapté à mes besoins.

TEENAGE HEROES

Mes premiers émois sonores datent de ma découverte de la pop-music au début des années 70 : The Beatles, The Doors, Status Quo... mais aussi le glam-rock (David Bowie, Slade, T. Rex, Sweet ...) ou Deep Purple. Très vite mes centres d'intérêt se portent vers des musiciens dont les univers sonores m'apparaissent comme plus originaux : King Crimson, Soft Machine, etc.

Et c'est en poursuivant cette recherche d'une réelle créativité chez les artistes, qu'ensuite j'ai croisé et découvert les univers de Jean Tinguely, Frank Zappa, Chomo, Bela Bartok, The Residents, Edgar Varèse, Glenn Branca, Raymond Isidore dit Picassiette, Fred Frith, Pierre Henry, Eduardo Matta, Jean-Luc Godard, Kurt Schwitters, Robert Wyatt, Mauricio Kagel, Luigi Russolo, Dieter Appelt, Arman, John Cage, George Antheil, Andy Goldsworthy, dada, Antonin Artaud, Robert Fripp, Alexandre Mossolov, Spike Jones, Brian Eno, Federico Fellini, Moondog, Erik Satie, Sergueï Paradjanov, Igor Stravinsky, l'Art Brut...

SELECTION DES MATERIAUX SONORES

Pour moi, tous les matériaux sonores existants peuvent s'intégrer à ma musique : bruit, vibration, son naturel, son artificiel, parasite, son instrumental, fréquence électronique ou fragment de musique pré-existante.
Mes critères de sélection sont purement auditifs : ils sont simplement déterminés par l'émotion que me procure l'écoute d'un son. C'est l'impact physique, la couleur ou les images suggérées qui déterminent l'utilisation future de tel ou tel son dans ma musique.

LIMITES ET METHODES DE COMPOSITION

Tout commence par l'écoute permanente et attentive de l'environnement sonore au quotidien.

Une fois mon oreille attirée par une sonorité originale, je cherche à l'enregistrer.

La phase de l'enregistrement sonore peut prendre deux formes :
- un simple enregistrement de sons préexistants (ambiances, paysages sonores)
- un jeu avec différents objets dont j'explore les sonorités multiples face au micro.

Viennent ensuite de longues séances d'écoute, durant lesquelles j'effectue des sélections parmi les différents enregistrements réalisés. La plupart du temps, mes choix se font en fonction des couleurs et des atmosphères obtenues. Grâce à cette sélection, je conçois le cadre dans lequel vont s'insérer les différentes séquences choisies : cela se présente comme une sorte de scénario/plan d'écriture du morceau.

A ce stade, j'ai plusieurs exigences concernant la structure future du morceau :

- La narration : que cela raconte une "histoire"
- La notion de "Cinéma pour l'Oreille" : que les matériaux sonores employées soient suggestifs, évocateurs d'images.
- Pouvoir jouer avec les facultés de perception de l'auditeur (insertion d'effets acoustiques ou psycho-acoustiques)
- Que la musique "sonne" : je me consacre pour cela à l'écriture de la composition en orchestrant les sons et les bruits selon une technique comparable à celle de l'agencement de notes sur une partition Pour cette méthode d'articulation entre les sons, je m'inspire de l'écriture musicale traditionnelle, bien que ne connaissant pas le solfège...

J'emploie le terme de"Cinéma pour l'Oreille" pour définir mon travail musical : il s'agit d'une musique de sons organisés évocatrice d'images. Partant du principe que tout son possède un fort pouvoir suggestif sur l'imaginaire de l'auditeur, j'élabore mes pièces musicales sous forme de scénarios.

Cette musique vise à stimuler l'imagination de l'auditeur : chaque son éveille un souvenir ou symbolise une action particulière, tant et si bien qu'au bout du compte, l'auditeur invente son propre film. Chaque personne ressent, interprète, et imagine différamment selon ses états d'âme, ses expériences ou sa subjectivité, générant ainsi une multitude de films distincts les uns des autres.

CROSS-FERTILISATION

Pour moi, le domaine de la création se nourrit de tout : d'émotions, de rencontres, d'échanges, d'influences et de croisements.C'est la raison pour laquelle, parallèlement à mon travail de création personnel, je poursuis des collaborations musicales régulières dans différents domaines artistiques comme le théâtre (depuis 1985), la marionnette, le dessin animé et les arts plastiques (peintures, sculptures).

La raison première est l'intérêt que je porte à la rencontre - tant sur le plan humain que sur le plan artistique- et à l'échange qui s'ensuit. Je pense que le fait de mettre ma musique au service de différents propos artistiques l'enrichit, tant dans sa forme que dans ses possibles applications.

Au delà de ces rencontres humaines, j'étends également mon champ d'investigation à d'autres domaines d'activité en rapport avec le son :

- Conception et réalisation de sculptures sonores (exposition Petites Musiques de Bruits),
- Collaborations ponctuelles avec d'autres musiciens (improvisation),
- Recherches historiques pour l'écriture du projet multimédia Les Aventuriers du Son.

HERITAGE 1

L'héritage sonore que nous ont légué les défricheurs des siècles passés est immense et à mon avis trop méconnu : c'est la raison pour laquelle je travaille actuellement à l'écriture d'un ouvrage intitulé Les Aventuriers du Son. Il s'agit d'une future encyclopédie multi-média qui sera consacrée à l'histoire du son et du bruit au cours des siècles passés. Cependant, ce travail de longue haleine nécessitera encore du temps avant sa publication...

HERITAGE 2

L'héritage français : les musique concrètes, électroacoustiques ou acousmatiques (rayer les mentions inutiles). Trois termes pour définir une seule et même forme d'expression musicale ! Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ?

Après plus d'un demi-siècle de recherches et d'expérimentations, la musique concrète reste toujours inconnue du grand public. Bien qu'officiant dans cette discipline musicale, je m'étonne toujours de la discrétion qui l'entoure.

La pratique la musique concrète dans la France de 2002 évolue à deux vitesses :

- d'un côté, les instituts de recherche musicale, qui sont très largement financés par l'argent public (GRM par exemple). Ces structures officielles évoluent en vase clos et n'ont aucune politique de diffusion vers le public.

- de l'autre côté, on trouve un très grand nombre de musiciens indépendants qui sont contraints à une diffusion très confidentielle de leur musique faute de structures de diffusion appropriées. Il n'existe en France aucun réseau de diffusion spécifique pour cette musique.

Cependant, que se soit du côté "institution d'avant-garde" comme du côté "underground", je remarque que la plupart des compositeurs de cette discipline se prennent au sérieux : ça ne rigole pas, on fait de la musique contemporaine ! Tout cela manque sérieusement de "fun" et de légèreté. Beaucoup de compositeurs de musique concrète s'offusquent encore à l'idée de s'adresser au grand-public et préfèrent rester confinés dans leurs petits cénacles spécialisés.

En conséquence la musique concrète est devenue totalement paradoxale : elle est tout à la fois révolutionnaire dans ses possibles et totalement conservatrice dans ses modes de diffusion... Heureusement, tout cela est bousculé l'arrivée de nouvelles générations de musiciens électroniques qui découvrent la musique concrète, sans savoir qu'il la pratiquent déjà avec leurs platines, leurs sampleurs et autres tables de mixage !

Pour moi, composer et tenter de diffuser ce type de musique aujourd'hui nécessite de se détourner des pratiques caduques de la musique concrète. Je pense que cette forme d'expression musicale peut être totalement accessible à un public non-initié, et je suis convaincu que cette musique particulière peut aussi séduire l'oreille du néophyte. Cependant, je pense que tout reste à inventer dans les formes de présentation de cette musique afin de la rendre réellement accessible à un large public.

DRÔLE

" La science a dépassé l'homme et l'homme ne s'en rend même pas compte. Un homme qui monte en avion vole plus vite avec son derrière qu'avec son cerveau" Edgar Varese

A De Filippis, P Cippone, E Veronesi, MG Leotta, S Micali, P Steffani